Un concept à la loupe : la charge écologique
La charge environnementale, de l’écologie des petits gestes à l’éco-anxiété
Quand l’écologie s’invite dans les tâches domestiques
La dénonciation de la charge environnementale démarre par une mise en cause de la répartition genrée de ce que l’on appelle « l’écologie des petits gestes ». Chacun·e peut agir au cœur de son quotidien pour réduire son impact environnemental : tri et recyclage des déchets, utilisation de produits d’entretien et d’hygiène respectueux de la planète, alimentation responsable (achats de produits issus de « circuits courts », produits de saison, vrac…), utilisation de couches lavables pour les bébés, mode éthique, réduction de la consommation d’énergie, limitation de la pollution numérique ordinaire, préférence aux transports en commun pour les trajets du quotidien…
Mais sur qui pèse concrètement cette « écologie des petits gestes » ? Qui gère l’organisation des trois poubelles nécessaires au tri ? Qui cherche au rayon des produits ménagers le détergent le plus écolo, voire fabrique la lessive maison en pensant à glisser dans le tambour les balles de lavage ? Qui lave les couches réutilisables (et les bodys quand l’étanchéité du bazar laisse à désirer) ? Qui se charge d’habiller les mômes qui grandissent plus vite que leur ombre ? Qui les emmène d’une activité à l’autre le mercredi (en culpabilisant de prendre la voiture malgré tout, car ce n’est pas forcément si évident de choper les différents bus pour des destinations variées en arrivant partout à l’heure) ?
Parce qu’elle s’applique très largement aux tâches domestiques (dont on rappelle qu’elles sont encore à 73% effectuées par les femmes en France), l’écologie des petits gestes s’adresse principalement aux femmes qui en plus d’être comptables de la bonne tenue de la maison et du bien-être de la famille se trouvent en responsabilité additionnelle que tout ceci soit fait de façon éco-compatible.
Paradoxe ou syndrome de l’infirmière du climat ?
Et pourtant, être plus écolo au quotidien, c’est elles qui le veulent ! En 2020, la youtubeuse Coline fait le buzz avec sa vidéo « J’en ai marre d’être écolo ». Elle y rappelle que dans son couple, elle a été motrice de la plupart des choix présidant à un mode de vie plus durable : réduction de l’alimentation carnée, passage au tout-bio ou quasi, compostage, recyclage…
Et l’influenceuse de rappeler qu’effectivement, la préoccupation environnementale est statistiquement davantage exprimée par les femmes que par les hommes. D’ailleurs, les dernières études montrent que l’écoanxiété est davantage ressentie par les femmes. Mais voilà que Coline, se faisant l’écho d’autres femmes alertant sur la charge environnementale, n’en peut plus. Et ne se comprend plus. Elle veut vraiment agir pour l’environnement, c’est un axe fondamental dans le corpus de ses valeurs, mais une part d’elle a envie de jeter l’éponge végétale avec l’eau des océans pollués !
Paradoxe que cet écart entre haut niveau d’engagement des femmes en faveur de la défense de la planète et ras-le-bol des actions dans le sens de la préservation des ressources et du climat ? Voyons-y plutôt une réplication du syndrome de l’infirmière dans le champ de l’attention portée aux générations futures. Autrement dit, de la même façon que l’individu fortement investi dans le « care » et hautement sensible aux besoins affectifs des autres accumule de la charge émotionnelle jusqu’à brûler de fatigue compassionnelle, l’individu qui fait son affaire personnelle du devoir collectif de prendre soin de l’environnement s’épuise de façon d’autant plus douloureuse qu’il ne peut renoncer à son engagement car la moralité de celui-ci est bien trop profondément ancré dans ses valeurs et dans son sentiment d’appartenance au monde.
Quels remèdes à la charge écologique ?
Comme toute charge cognitive, ça se conscientise !
Ce qui nous mine avec la charge mentale, la charge émotionnelle ou la charge environnementale, c’est qu’elles s’inscrivent dans nos crânes sans crier gare. Personne ne se dit : « Tiens, je vais désormais considérer qu’il m’appartient de penser à ça, d’être responsable de ceci, d’être tenu·e d’assurer cela » quand il s’agit des choses de la vie familiale et affective. Les choses se font progressivement, la charge mentale s’installe en douce en des zones de notre intimité qui rendent difficiles la conscientisation et la verbalisation. En effet, on se dit qu’on aurait l’air froidement comptable de lister tout ce à quoi on s’efforce de penser pour assurer le bien-être des siens. On préfère mettre ça sur le compte de la générosité et de l’amour, c’est tout de même plus flatteur pour notre narcissisme et pour l’idée que l’on se fait des relations avec ses proches. A petites doses, ça va, mais quand ça commence à prendre la tête et à donner la boule au ventre, c’est qu’il y a surcharge et risque de craquage. Avant d’en arriver là, c’est pas mal de faire sereinement le point sur ce dont on se sent responsable, que ce soit parce que les autres comptent effectivement sur nous ou bien parce qu’on se met soi-même la pression pour que ce soit fait à notre façon !
La charge environnementale, ça se partage
Il y a en effet une certaine partie de nos charges cognitives qui procède non tant d’attentes exprimées par notre entourage ou notre contexte que de notre vision de ce qui est bon, bien et juste. Et on peut se mettre la pression sans que rien ne soit exigé de nous. Ou beaucoup moins que ce qu’on se l’imagine.
Aussi, partager la charge environnementale avec son entourage, c’est commencer par se mettre d’accord sur les objectifs que l’on se fixe dans la contribution du ménage aux défis environnementaux. On peut ainsi établir un « pot commun » des objectifs, sur lequel on est co-responsables : d’y penser, d’agir, de rendre des comptes. Et puis, si l’un·e ou l’autre veut aller plus loin, c’est son droit mais c’est sur lui/elle que repose la responsabilité d’y penser et de réunir les moyens nécessaires à ses actions individuelles.
La charge environnementale, ça se partage aussi en-dehors du ménage. Car si « l’écologie des petits gestes » nous mine parfois le moral, c’est précisément parce qu’elle nous fait barboter dans la somme des « petites » actions façon « colibri », isolément et sans forcément observer de résultats à la hauteur de nos efforts. Agir aussi pour l’environnement au sein d’une association, d’un collectif, d’un mouvement, en faisant porter une voix plus ample et en menant des actions ambitieuses, ça aide à rendre son travail écologique visible, ça lui donne une portée politique (en termes d’estime de soi et de sentiment d’exister, ce n’est pas tout à fait la même chose qu’un impact domestique) et ça redonne du sens à ce qui est devenue « une charge » dans le cadre intime.
Marie Donzel, pour le webmagazine NOE
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