En débat : La notion de « washing » a-t-elle un sens ?
Green washing, happy washing, work washing, social washing, feminisme washing, french washing… On « wash » de plus en plus ces derniers temps et à force de tourner, le tambour est plein !
Les entreprises doivent suivre impérativement les grandes évolutions sociétales et adapter leur offre et leur positionnement, leur système de production et de distribution ainsi que leur management à l’ère de l’écologie responsable, du développement durable et du bien-être au travail. Pour certaines, le washing leur donne l’opportunité d’évoluer en profondeur et d’introduire une véritable politique de Responsabilité sociale et environnementale (RSE). Pour d’autres, c’est avant tout une stratégie marketing utilisant l’image positive de ces nouvelles tendances sans pour autant les appliquer à elles-mêmes.
Quel sens faut-il donc donner à cet « éco blanchissement » ? Faut-il laver plus vert que blanc ? Changer de cycle et de lessive ? On fait le point sur tous les programmes de washing…
Quand la vague du vert a déferlé…
Nous sommes au début des années 1990 quand les annonceurs comprennent que l’écologie allait devenir très tendance. Les lessives ne lavent plus blanc que blanc mais plutôt « sans phosphates » tandis que l’on vante les performances des piles sans plomb ou des aérosols protégeant la couche d’ozone. C’est vers 2006-2007 que la grande vague du « naturel » déferle sur les consommateurs. D’après Anne Charon, de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité ( ARPP), « les études ont montré que les messages à caractère « vert » avaient été multipliés par trois en une seule année. » Le terme de « green washing » se généralise.
Le green washing, c’est quoi ?
L’expression aurait été utilisée pour la première fois en 1986 par un activiste écologiste Jay Westervelt. Le militant américain dénonçait l’hypocrisie de l’industrie hôtelière qui, sous couvert d’écologie, incitait les clients à accepter que leurs serviettes de toilettes ne soient pas lavées quotidiennement. D’après lui, les hôteliers souhaitaient surtout réduire les coûts de fonctionnement de leurs établissements et non sauver la planète. Il invente alors l’expression « green washing », en référence au blanchiment d’argent, opération consistant à rendre propre un argent acquis illégalement.
En français, le Petit Larousse ne reconnait que le terme « écoblanchiment » tandis que le Grand dictionnaire terminologique propose aussi « mascarade écologique », « blanchiment vert » et « verdissement d’image ».
Le green washing serait donc essentiellement un procédé destiné à se fabriquer à peu de frais une nouvelle image écologiquement responsable et un outil marketing efficace pour séduire des consommateurs de plus en sensibles à ce type d’arguments. C’est ainsi que certains logos ou couleurs d’emballages ont subitement viré du jaune au vert…
Bref, un simple sparadrap vert destiné à tromper son monde sans vouloir le changer
Ce qui n’est pas faux ! Nombre d’entreprises ont ainsi surfé sur la vague, se contentant souvent de vanter, sans preuve, leur implication environnementale, notamment les industries les plus polluantes qui souhaitaient se refaire une virginité au lieu d’agir concrètement.
Je wash, tu washes, nous washisons…
Le washing s’est vite appliqué à d’autres éléments de communication plus « corporate », comme les valeurs de l’entreprise elle-même. Aujourd’hui, la vague est devenue tsunami et touche non seulement toute la communication externe de l’entreprise mais également l’ensemble de son fonctionnement interne : le happy washing, le social washing, ou le feminisme washing sont autant de termes qui concernent les politiques –pas ou mal appliquées- de bien-être et de la santé au travail, de la qualité du management ou de la parité. De petits malins ont aussi décidé d’appliquer le sparadrap sur leurs productions toute entières. Ainsi le french washing ou comment faire croire qu’un produit est « made in France », alors, par exemple, qu’il est juste designé en France mais fabriqué en Chine.
Des mauvaises pratiques dénoncées
En avril 2021, les députés français renforcent certains dispositifs du projet de la loi sur le climat. Ils interdisent la publicité pour la commercialisation et la promotion des énergies fossiles, et durcissent les sanctions contre l’éco-blanchiment.
Cet amendement vient renforcer les sanctions relatives aux pratiques commerciales trompeuses, prévues dans le code de la consommation. Le montant de l’amende pourra ainsi être porté à 80 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique qualifiée d’éco-blanchiment – contre 50 % aujourd’hui. En cas de pratique avérée de greenwashing, la diffusion de la sanction devient systématique.
Dés le début de la grande vague de washing, les pouvoirs publics mais également des professionnels de la communication eux-mêmes avaient réagi, dénonçant les « blanchiments » frauduleux. Parmi de nombreuses initiatives émanant du public comme du privé, on peut citer la création, dès 2009, d’un Observatoire indépendant de la publicité ( OIP ) qui a notamment pour objectif d’alerter et de sensibiliser le public à ces mauvaises pratiques. En 2011, ceux sont des professionnels de la communication, à l’origine du le-collectif-des-publicitaires-eco-socio-innovants qui fondent l’Association pour une communication plus responsable. Ils entendent remettre en cause l’autorégulation du secteur de la publicité afin de limiter au maximum les cas d’écoblanchiment.
Côté pouvoirs publics, l’article 90 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte instaure de nouvelles règles : « afin de garantir la qualité de l’information environnementale mise à la disposition du consommateur, les producteurs réalisant volontairement une communication ou une allégation environnementale concernant leurs produits sont tenus de mettre à disposition conjointement les principales caractéristiques environnementales de ces produits. » Ainsi, la communication environnementale sur un produit reste volontaire mais, dès qu’elle a lieu, elle doit obligatoirement être accompagnée par une information multicritère, par nature plus riche car plus complète.
L’agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie, l ’ADEME , propose un guide « anti-green washing » avec un test d’auto-évaluation sur ces pratiques et lance un site de communication-responsable dédié aux professionnels de la communication souhaitant s’engager sur les questions de développement durable.
Quels sont les risques pour les entreprises ?
Outre les sanctions juridiques, « verdir » sa communication et uniquement sa communication n’est pas sans danger pour la crédibilité de l’entreprise. Selon l’étude 2019 du Edelman trust barometer , 81 % des consommateurs considèrent en effet l’honnêteté des marques avant toute décision d’achat. De plus, 64 % d’entre eux affirment choisir leurs marques en fonction de leur point de vue sur les questions sociétales. Le pourcentage grimpe à 91 % chez les millénials, qui deviennent ainsi de véritables porte-parole de « rébellion » à travers les réseaux sociaux. 53 % remettent d’ailleurs en question la véracité des prises de position des marques. Les consommateurs ne cherchent plus uniquement à satisfaire leurs besoins, mais bien leur conscience et ils n’entendent pas être dupes. Il en est de même lorsqu’il s’agit de s’engager comme collaborateurs dans une entreprise. En novembre 2019, les étudiants du manifeste pour un réveil écologique, associés à Génération Climat, ont ainsi publié un guide anti-greenwashing pour choisir leur futur employeur. Pour Nathalie Devulder, Directrice RSE chez RTE , le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, « ce manifeste est un signal qui doit nous interpeller et qu’on doit prendre en compte. »
Réveillez-vous !
De nombreuses entreprises ont donc compris que le washing, vert ou autre, n’est pas une solution viable. Leur engagement doit se prouver par des faits et non de simples déclarations d’intention ou carrément mensongères. C’est l’heure du grand réveil, le woke, issu de l’argot afro-américain qui signifie « être réveillé ». Être « woke », c’est avant tout être conscient des injustices sociétales telles que le racisme, le sexisme, le patriarcat ou même encore les injustices environnementales et sociales. Les entreprises ont un rôle fondamental à jouer dans cette prise de conscience et dans la recherche de solution. Elles peuvent même y trouver leur « raison d’être ».
En 2019, dans une tribune publiée dans La Tribune, Marion Darrieutort, présidente de Elan Edelmann, Antoine Lemarchand, président de Nature et Découverte, tous deux co-présidents d’Entreprise et Progrès, et Laurence Peyraut, vice-présidente d’Entreprise et Progrès et secrétaire général de Danone-France expliquent : « Pour les entreprises françaises, c’est la grande aventure du moment : trouver sa raison d’être. Il y a quelques mois, la loi Pacte modifiait l’article 1835 du code civil. Celui-ci autorise désormais les statuts de l’entreprise à « préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens ». (…) Equivalent de ce que les Américains appellent « purpose », elle décrit un projet sociétal et le rôle que doit y jouer l’entreprise. (…) La loi Pacte éveille les consciences, pousse à l’introspection et offre aux forces vives de l’entreprise une formidable opportunité pour repenser l’entreprise, la recentrer, bref la transformer aux yeux des parties constituantes de l’entreprise que sont les salariés, les actionnaires, dirigeants et les administrateurs, et de la société. (…) Elle propose une métamorphose et exige de l’action. Prenons-la au sérieux. Elle est un acte de gouvernance. L’alignement de long terme de l’entreprise sur sa raison d’être doit donc être confiée au Conseil d’administration, rien de moins. »
Pour Danone, sa raison d’être sera « Apporter la santé par l’alimentation au plus grande nombre ». Danone, comme des dizaines d’autres entreprises, devient donc une « société à mission », dont les objectifs doivent s’orienter uniquement sur des pratiques durables et vertueuses.
Plus de transparence et des mesures d’impact
Pour éviter que le « woke » ou le « purpose » (la raison d’être en anglais) ne deviennent une fois de plus un simple sparadrap, et se transforme en « woke washing », la transparence et les preuves d’impact qu’une entreprise va avoir sur la planète sont exigées par les consommateurs et les politiques. Ainsi, une application française, Yuka qui permet aux consommateurs d’évaluer l’impact environnemental des produits, participent à cette transparence nécessaire. Et ça marche…
Oui au marketing vert et social , non au washing
L’investissement et l’engagement d’une entreprise en faveur de la protection de l’environnement, du développement durable et d’une politique sociétale, le marketing vert et social, doivent bien évidemment être mis en avant dans sa communication
Mais « pour que cette construction de la légitimité écologique de l’entreprise soit réellement convaincante et efficace sur l’opinion publique dont elle cherche à modifier les perceptions, explique Éric Viardot, professeur de marketing et de stratégie à l’EADA de Barcelone et consultant pour de grandes entreprises internationales, il est nécessaire que les messages envoyés soient en congruence avec la pratique et donc les objectifs et la stratégie de l’entreprise. » CQFD.
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